"Mémoires vives" et distanciel

A propos de surveillance globale...

Depuis que, poursuivi par la justice, il a fui les Etats-Unis en 2013 après avoir révélé au grand public la vaste entreprise de surveillance de masse opérée par les Etats-Unis en direction du monde entier, Edward Snowden vit réfugié en Russie, le seul Etat qui ait consenti à lui accorder l’asile. Cet ex-informaticien autodidacte de la NSA, qui n’a pas encore 40 ans, semble avoir eu plusieurs vies qu’il nous raconte dans ses "Mémoires vives", un livre biographique haletant mêlant humour, engagement et sens du récit, avec l’acte d’insoumission majeur que l’on sait et l'appel lancé à la vigilance de tous comme points d’apothéose. Il se dégage de ses lignes la personnalité d'un homme attachant, empathique, gagné par une sérénité retrouvée après l'épisode rocambolesque de sa fuite vers l'exil. 

Dans les faits, près de 10 ans après, rien n'a changé : la NSA et autres opérateurs continuent de surveiller massivement tout un chacun et Snowden est toujours sous la menace d'un certain nombre d'années de prison s'il lui prenait la fantaisie de rentrer chez lui. Mais sur le fond, peut-être quelque chose a t-il bougé au plan collectif : un début de prise de conscience et de changement de regard face à ces questions.

Avant de quitter la Maison-Blanche pour s’en aller rejoindre son terrain de golf et les oubliettes de l‘histoire, Donald Trump a exercé son droit de grâce à tour de bras, avec une frénésie telle qu’il fut un moment question que le lanceur d’alerte australien Julien Assange soit inclus dans ce vaste pardon. Assange n’a finalement pas été grâcié, pas plus que l’américain Snowden auquel les puissants, fussent-ils eux-mêmes des parangons d’illibéralisme, ne pardonnent décidément pas sa façon bien à lui d’aimer son pays et les valeurs démocratiques qui y sont associées.

Ouvrage disponible à la BU Martinique. Dans le prolongement de ce témoignage, nous vous invitons à découvrir également à la BU L'art de la révolte : Snowden, Assange, Manning. L'auteur, le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie, s'interroge sur ces trois figures solitaires de lanceurs d'alerte capables de renouveler l'idéal démocratique et les modes de contestation, alors que des mouvements collectifs de type "Nuit Debout, "Les indignés" ou "Occupy" semblent témoigner de capacités de mobilisation et d'indignation d'une moindre portée.

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De la clairvoyance de Snowden aux préventions d’un enseignant face au distanciel, il n'y a qu’un pas. Professeur des universités en littérature, Philippe Forest n’aime pas ce « distanciel » auquel étudiants et enseignants sont soumis avec constance depuis le premier confinement de mars 2020. Il le dit sur le ton du pamphlet dans « L’Université en première ligne » paru dans la collection Tracts chez Gallimard.

L'auteur redoute que ce qui devait relever du palliatif ne s’installe définitivement dans le paysage académique, au point de s’imposer un beau jour comme modèle unique. Mais au-delà de ses propres réticences pédagogiques, il perçoit dans cette évolution anthropologique, dont « la surveillance généralisée et d’une nature nouvelle » permise par les cours en ligne serait un symbole fort, « une emprise plus forte des logiques managériales sur un lieu dont la vocation critique consiste pourtant à les tenir à bonne distance. Car le numérique n’est pas une forme vide : il porte en soi certaines manières de faire et de dire auxquelles précisément, l’Université ne saurait sans résistance se plier… » Sa crainte ultime : que tout cela n’aboutisse à terme à la fermeture des universités. Ecrit à l’été 2020, ce coup-de-gueule ne se fait pas l’écho du deuxième confinement survenu à l’automne. Alors qu’un troisième confinement est annoncé comme inéluctable, certains trouveront peut-être à cette colère de 56 pages des accents prophétiques.

Ouvrage disponible à la BU Martinique (extraits à lire sur le site de l'éditeur)

Bonne lecture !