Zancarini-Fournel, Noiriel:Histoires populaires de la France
Alors que les esprits s’échauffent et que des éditorialistes assènent du haut de leurs chaires médiatiques des axiomes qui ne convainquent qu’eux, nous pouvons saluer la sortie de deux livres prenant à bras le corps l’histoire des classes populaires en France.
Michelle Zancarini-Fournel, professeure émérite d’Histoire contemporaine à l’Université de Lyon a publié en décembre 2016 une somme sur l’histoire de la France populaire, non seulement dans l’hexagone, mais aussi dans les colonies passées et actuelles. Son intérêt pour les classes populaires des Antilles se marquent non seulement par le recours fréquent aux travaux des historiens de notre université, mais par le choix de la date qui marque le départ de son livre, 1685, année de la publication de l’Édit du roi sur les esclaves des îles de l’Amérique, dit « Code noir », mais aussi de la Révocation de l’Édit de Nantes qui inaugure une nouvelle série de persécutions contre les Protestants qui seront plusieurs milliers à fuir le Royaume.
« La question coloniale est on l’aura compris très présente dans l’ouvrage, avec le choix de décrire une part de sa réalité en s’attachant à la rencontre des corps par le biais de la punition, de la répression, du travail forcé, du sexe tarifé, du bagne. Les pages sombres écrites par les différents régimes politiques sont ainsi décrites, des Antilles à l’Algérie, en passant par Madagascar ou l’Indochine. Plus largement, l’auteure fait une large place à la férocité qui caractérise la répression des multiples formes de révoltes des subalternes par la soldatesque ou la police, tout au long des quatre siècles de cette histoire populaire. Très loin d’une image unitaire du peuple, l’auteure chemine avec la volonté ferme de ne rien cacher des conflits, divisions, stratifications sociales qui le traversent, ni de taire les phénomènes minoritaires, les spécificités géographiques ou encore la xénophobie ouvrière. [1]»
Plus récemment, Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS, vient lui aussi de publier une histoire populaire de la France en partant de la Guerre de Cent-Ans. Dans son introduction, il écrit : « L’ambition ultime de cette Histoire populaire de la France est d’aider les lecteurs non seulement à penser par eux-mêmes, mais à se rendre étrangers à eux-mêmes, car c’est le meilleur moyen de ne pas se laisser enfermer dans les logiques identitaires.
« Pour moi, le “populaire” ne se confond pas avec les “classes populaires”. L’identité collective des classes populaires a été en partie fabriquée par les dominants et, inversement, les formes de résistance développées au cours du temps par “ceux d’en bas” ont joué un rôle majeur dans les bouleversements de notre histoire commune. Cette perspective m’a conduit à débuter cette histoire de France à la fin du Moyen Âge, c’est-à-dire au moment où l’État monarchique s’est imposé. Appréhendé sous cet angle, le “peuple français” désigne l’ensemble des individus qui ont été liés entre eux parce qu’ils ont été placés sous la dépendance de ce pouvoir souverain, d’abord comme sujets puis comme citoyens.
« Ce qui permet d’affirmer le caractère « populaire » de l’histoire de France, c’est le lien social, c’est-à-dire les relations qui se sont nouées au cours du temps entre des millions d’individus assujettis à un même État depuis le xve siècle, et grâce auxquelles a pu se construire un « nous » Français. Les classes supérieures et moyennes ont été dans l’obligation de tenir compte des activités, des points de vue, des initiatives, des résistances, propres aux classes populaires, afin de mettre en œuvre des formes de développement autres que celles qu’elles avaient imaginées au départ. Et réciproquement, les représentations du peuple français que les élites ont construites au cours du temps, les politiques qu’elles ont conduites, ont profondément affecté l’identité, les projets, les rêves et les cauchemars des individus appartenant aux classes populaires. »
Ces deux ouvrages sont importants pour qui veut comprendre les événements se déroulant en ce moment et s’élever au-dessus des commentaires médiocres qu’ils suscitent.
[1] Laurent Dartigues, « Michelle Zancarini-Fournel, Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2017, mis en ligne le 29 août 2017, consulté le 03 décembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/lectures/23332