Élie Bloncourt (1896-1978), député aveugle sous la Troisième République

Entre les deux guerres mondiales, plusieurs députés non-voyants ont siégé au Palais Bourbon, dont le guadeloupéen Élie Bloncourt.
Élie Bloncourt en 1936

Les médias ont beaucoup parlé d’un nouveau député qui serait le premier non-voyant à siéger sur les bancs du Palais Bourbon. Pourtant, durant l’Entre-deux-guerres, trois députés souffrant du même handicap ont siégé à la Chambre des Députés, parmi eux le socialiste Élie Bloncourt, député de l’Aisne, issu d’une famille guadeloupéenne et haïtienne qui a compté d’autres militants républicains, socialistes, anti-fascistes et anti-colonialistes.

Né à Basse-Terre le 5 mai 1896, Élie Bloncourt perd son père, officier des douanes, quelques jours après sa naissance, et sa mère en 1913, peu de temps après avoir réussi son baccalauréat au Lycée Carnot de Pointe-à-Pitre. Après le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, il est mobilisé en 1915 et envoyé sur différents champs de batailles, dans les Dardanelles, comme dans l’Aisne. C’est lors de cette dernière bataille qu’il est blessé au visage et perd définitivement la vue le 30 mai 1918 avant d’être fait prisonnier par les Allemands.

De retour en France après-guerre, il s’installe à Paris avec sa femme, épousée lors d’une permission en Guadeloupe en 1917, et bientôt trois enfants. Il apprend le braille, la dactylographie et obtient une licence de philosophie à la Sorbonne en 1921. Il essaye alors d’obtenir un poste dans l’enseignement secondaire, mais sa cécité lui ferme des portes et il doit attendre 1932 pour avoir un poste stable au collège de La Fère, dans l’Aisne, où il enseigne le français, le latin et la philosophie.

Parallèlement à son activité professionnelle, il s’engage dans les mouvements d’anciens combattants, particulièrement les blessés de guerre où il occupe de nombreuses fonctions dirigeantes. Il se distingue comme un fervent partisan de la paix. En politique, il est d’abord proche d’Aristide Briand, pour peu à peu se rapprocher de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) dont il devient un des dirigeants dans l’Aisne. Il est élu député de son département d’adoption à l’occasion de l’arrivée au pouvoir du Front Populaire. Durant son mandat, il s’affirme comme une des voix de la gauche de la SFIO, partisan d’une unité d’action avec le PCF, et au sein du parti, il est l’un des meneurs du courant « Bataille Socialiste ». Bien qu’ayant voté les accords de Munich en 1938, par discipline de parti, il fait partie des socialistes avec Léon Blum, qui sont partisans d’une politique de fermeté face à Hitler.

Le 10 juillet 1940, il ne participe pas au vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain et quelques semaines après le début de l’occupation il participe au réseau Libération-Nord puis au Comité d’action socialiste qui organise la résistance de la SFIO dans la clandestinité. Son engagement lui vaut d’être désigné président du Comité départemental de Libération de l’Aisne et il s’empare de la préfecture de Laon le 30 août 1944.

Après-guerre, il est de nouveau député de l’Aisne à la première assemblée constituante de 1945, mais ses positions en faveur de l’unité d’action avec les communistes le mettent en opposition avec la nouvelle ligne humaniste de Léon Blum et Daniel Mayer, puis avec la nouvelle direction de Guy Mollet dont il réprouve le virage anti-communiste. Il est finalement exclu de la SFIO en janvier 1948 et participe alors à la fondation du Parti socialiste unitaire qui prône toujours l’unité d’action avec le PCF, mais ne connaît pas de grand succès électoraux.

Élie Bloncourt s’éloigne peu à peu de la vie militante pour reprendre un poste d’enseignant, tout d’abord au CNED puis au Lycée Charlemagne à Paris. Il garde cependant un grand prestige dans les milieux de la gauche indépendante et participe plus ou moins à toutes les initiatives visant à refonder un socialisme unitaire. Par ailleurs, avec son frère Max, avocat et membre de la Ligue des Droits de l’Homme, il participe à des initiatives de soutien aux pays colonisés par la France.

En 1959, il préside ainsi le comité de soutien à Gérard Spitzer, un militant exclu du PCF, qui aidait les nationalistes algériens. En juin 1968, il signe avec d’autres personnalités de gauche et républicaines un appel contre les comités d’action civique mis en place par des militants gaullistes pour lutter contre la « subversion ». En 1971, il rejoint le Parti socialiste renouvelé par François Mitterrand dont il reste un fidèle militant dans la section du Ve Arrondissement de Paris jusqu’à sa mort en 1978.

Pour découvrir ce personnage méconnu de l’histoire politique française, vous pouvez vous reportez à l’article paru sur lui dans la revue Parlement[s] qui détaille son parcours avec beaucoup plus de précision : NADAUD Éric, « Élie Bloncourt (1896-1978), une figure du socialisme de gauche unitaire », Parlement[s], revue d'histoire politique, 2009/2 (n° 12), p. 118-131. DOI : 10.3917/parl.012.0118. URL : https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-118.htm